Comment passer à un « nouveau capitalisme » ?
On peut s’interroger sur quatre points essentiels si on veut réfléchir à la transition vers un « nouveau capitalisme » : - La vision du capitalisme de M. Friedman est loin d’être simpliste, il ne faut pas la caricaturer. Dans cette vision, l’entreprise maximise les profits pour les actionnaires, mais l’Etat intervient pour assurer une éducation, un système de santé, une redistribution des revenus convenables. Il y a simplement partage des tâches entre l’Etat et les entreprises, mais l’Etat peut taxer, réglementer, inciter les entreprises. Il faut donc se demander pourquoi cette vision du capitalisme a échoué. - Les désordres cré é s par le capitalisme contemporain ont comme origine centrale et essentielle le niveau anormalement élevé de la rentabilité exigée du capital pour l’actionnaire. Il en résulte les délocalisations, les rachats d’actions, le partage des revenus au détriment des salariés, l’utilisation d’énergies fossiles peu chères, la concurrence fiscale, la reconstitution de monopole s … Ces évolutions sont défavorables du point de vue de la morale, de l’éthique, mais aussi de l’efficacité économique : destruction d’emplois industriels et d’industries stratégiques dans les pays de l’OCDE, instabilité financière, insuffisance de la demande et déficits publics, dérèglements climatiques, fiscalité inacceptable, rentes de monopole. - Il faut donc maintenant réinternaliser toutes ces externalités (sociales, financières et économiques, climatiques) générées par le comportement des entreprises. Il apparaît ici d’abord un rôle des entreprises, de leurs instances dirigeantes (les Conseils d’Administration doivent assurer l’acceptabilité sociale de l’entreprise), et un rôle des Etats. Les Etats ne peuvent pas déléguer aux entreprises tout le respect des objectifs sociaux, économiques, environnementaux, et doivent mettre en place les bonnes incitations et les bonnes politiques, par exemple prix du CO 2 , bonus-malus sur les licenciements, politique des revenus, soutien aux énergie s renouvelables, aux industries stratégiques, politique de la concurrence… - Le rôle de la finance soulève deux questions : d’abord, pourquoi l’objectif de rentabilité des fonds propres est-il aussi élevé ? Les épargnants de base (les ménages) ont besoin d’une épargne essentiellement à long terme et ne demandent pas un rendement colossal de leur épargne. Mais les gérants d’actifs sont en concurrence à court terme pour les parts de marché, ce qui aboutit à l’équilibre à une exigence de rentabilité forte permanente . Il faudrait donc modifier l’économie industrielle de la finance, par exemple en allongeant la durée des placements, en les rendant moins liquides. Ensuite, la finance va devoir financer la transition des entreprises. On ne peut pas exiger des entreprises de passer instantanément à un score ESG élevé, il faut les accompagner dans cette évolution par des financements conditionnels, liés aux progrès (climat, social, gouvernance) réalisé s . Au total, on voit les pistes ouvertes : internaliser toutes les ext ernalités générées par les entreprises avec un mélange de réglementations, d’incitations, de volonté spontanée des entreprises, de financements conditionnels, de réforme des produits de gestion d’actifs. Après la crise du coronavirus, les entreprises seront affaiblies. Il n’est pas sûr qu’elles accueillent avec enthousiasme de nouvelles règles, de nouvelles contraintes, et il peut y avoir conflit entre les souhaits des entreprises et ceux des opinions et des gouvernements.